Bolivie - Chili, aux pays des superlatifs... (2005)

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06h00 du matin, gare routière de La Paz. Un thé dans une guitoune glacée. 07h30 nous sommes à l’hôtel, nous jouerons aux dés jusqu’à 10h30, heure à laquelle la chambre se libère. Nous passons à Alaya, bureau des guides pour un briefing matériel pour mes trois jours de montagne entre le 08 et le 10 août. Sieste, achats et promenades.


Route puis piste pour la plus haute station de ski au monde, Chacaltaya à 5300 mètres d’altitude. Plusieurs raisons pour cette excursion : tout d’abord par curiosité, ensuite pour les paysages qui surplombent l’altiplano, enfin pour me permettre de m’acclimater pour les jours suivants et de permettre à Anne Gaëlle de passer la barre symbolique des 5000 mètres.  Le minibus nous dépose à 5300 m, il faut une heure de marche pour accéder au sommet des pistes à 5440 m.  La station est rudimentaire, pas ou peu de neige, et un vieux câble obsolète qui fait office de remonte-pente.

 Nous partons, Anne Gaëlle prend peur et rebrousse chemin, sensation inconnue et effrayante pour mon petit cœur… Je sens mon cœur qui s’emballe, le souffle abdique, je suis bien en altitude, je ressens avec plaisir ce que le manque d’oxygène impose aux organismes. Je monte rapidement, du sommet, je peux observer à loisir la face du Huyana Potosi que je tenterai de gravir deux jours plus tard. Les vues sont panoramiques, La Paz et sa pollution, l’altiplano et la Cordillère Royale… Je la rejoins. Nous buvons un maté de coca, et redescendons sur La Paz.


Promenades et repos, nous profitons de la dernière journée ensemble avant mon départ en montagne.


09h20, le guide arrive vient me chercher, un gros baiser à ma femme et nous partons. « ne t’inquiète pas avant 20h00, le 10 août » 300 mètres de marche arrière sur la voie rapide, apparemment, il y a quelques problèmes de logistique… Je monte dans un autre 4x4, je rencontre deux français. L’un vient du Pérou à vélo, l’autre est depuis neuf mois en Amérique du Sud.   Nous arrivons vers 11h30, le Huyana Potosi s’impose à nous.

Je pense que nous allons manger un petit quelque chose… et non, je m’équipe et nous partons à 12h00 pour le sommet du Charquini ( 5350 m).  Le Charquini est une petite montagne, son intérêt est limité, le sommet est peu esthétique et peu technique, mais son ascension me permettra de parfaire mon acclimatation. Le sentier longe un précipice impressionnant puis nous gagnons le glacier. Le temps est instable, les sommets couverts, quelques flocons tombent. Vers 5100 m, je commence à souffrir, le sommet est atteint à 15h15. Le Huyana Potosi est dans les nuages,  j’espère que cela ne durera pas…

   

Nous redescendons, je suis mort de faim, j’ai dans le ventre les deux malheureuses tartines avalées à 08h30 ce matin !  Dans la descente, nous discutons avec Rodolphio, il ne manque pas d’humour, nous lions sympathie. Nous parvenons au refuge quasiment vide ( 4650 m ), je rencontre deux français, nous dînons puis je vais me coucher. Mon cœur me manque terriblement, première aspirine.


Après une bonne nuit de dix heures, nous partons vers le camp 2, à 5250 m.

Rodolphio m’avait annoncé trois heures de marche, en deux heures nous y sommes. Je rencontre trois français croisés la veille. Le camp 2 est un amas de tentes, posées à même les rochers au pied du glacier.

Je domine toute la vallée de cette terrasse en plein ciel.

   

Je retrouve également les deux français rencontrés dans le 4x4 la veille, ils sont allés au sommet. Dîner à 16h30.  Je me sens bien, chaque geste trop brutal m’affecte, mais tout cela est normal. Je n’ai pas de mal de crâne, mes idées sont plutôt claires, tout cela est de bonne augure pour demain.  J’aime se sentiment : je suis avec ma petite tente, planté à 5250 m, je ne suis pas seul mais l’ambiance haute montagne me touche profondément.  Je me couche vers 18h00, étant persuadé de pouvoir trouver le sommeil. Dans la tente des français, j’entends des fous rires incontrôlables, ceux que nous avions également avec Gatien lorsque l’altitude et le manque d’oxygène réduisent les capacités mentales. Du coup, je me prends à rire tout seul…  J’écoute le vent, je pense à ma petite femme, mais je ne trouve pas le sommeil…


Je m’assoupis vingt minutes, je me réveille, il est 00h23, mon réveil sonne dans sept minutes…Il fait –5°c dans la tente.  Dehors, le vent est fort, très fort même…  01h00, Je bois un thé glacé dans un univers glacial, l’obscurité est  totale, la température n’excède pas –20°c. 01h20,nous partons. Nous marchons vite, très vite, nous distançons les quelques lampes frontales qui s’étalent sur l’itinéraire. Seul un espagnol et son guide nous accompagnent. Nous parvenons assez vite au Campo Argentino ( 5450 m ), nous distinguons tout au loin la nuée que forme les lumières de El Alto quelques 1500 mètres plus bas. 5500, 5600, 5700, les sensations sont bonnes, nous passons quelques crevasses  que nous ne voyons qu’à peine, nous enjambons  ces précipices de glaces qui pour certains s’évanouissent à plus de vingt mètres dans les profondeurs du glacier.  Un passage vertical, la traversée d’un plateau glaciaire, bientôt 5800 mètres, mes forces me  quittent, elles abdiquent.  Je marche  machinalement, ne sachant pas si je pourrais atteindre la consécration. Je suis épuisé, je paie sévèrement mon manque de préparation et de condition physique.  5900 m, je m’arrête tous les vingt mètres. Une cordée nous dépasse à vive allure,je reste planté, essayant de happer au passage, les moindres molécules d’oxygène. Nous abordons enfin la dernière difficulté, je doute encore de mes aptitudes physiques à atteindre le sommet. La dernière partie est constituée par une paroi de 45° en moyenne, mais composée de pénitents, ces colonnes de glace formées par le vent, si caractéristiques des montagnes d’Amérique du sud. Ainsi, il  faut louvoyer, se faufiler, se frayer un passage, il faut également assurer ses ancrages, planter son piolet dans une glace friable, tout cela avec des passages qui parfois sont  proches de la verticale. Je suis exténué, je fais une pause tous les dix mètres.  Enfin, à 06h40, l’obscurité totale, laisse sa place à une fine ligne orange à l’horizon, le lever de soleil accompagne les derniers mètres de mon calvaire.

   

Il reste dix mètres, je sais désormais  que je foulerai le sommet…

06h50, je suis au sommet du Huyana Potosi à 6088 mètres d’altitude, il fait –20°c, nous avons mis 05h30, laissant derrière nous bon nombre de cordées. Je suis très fatigué, affecté même, mais très heureux de fouler mon quatrième 6000…

   

Les perspectives sont infinies, l’altiplano, El Alto, le Lac Titicaca… Je pense à ma puce que je vais retrouver dans quelques heures. L’horizon nous offre l’ombre la montagne, elle se dessine, grossit et s’évanouit en quelques instants.

L’instant est fort mais il se doit d’être court. Le froid mordant et le manque d’oxygène nous obligent à redescendre. Déjà d’autres alpinistes nous rejoignent, nous nous congratulons mutuellement, échanges brefs mais sincères.

Nous redescendons , découvrons au fur et à mesure, l’ampleur des espaces traversés dans l’obscurité.

   

Un milieu moins hostile se découvre, je devine La Paz, la bas, au fond, c’est encore très loin…

09h30, nous sommes au camp, je mange un peu, cela fait quinze heures que je n’ai rien avalé, je m’hydrate. Rodolphio me demande si je veux dormir. Non, je suis pressé de redescendre. 12h00, nous sommes au refuge, à 14h00, je suis à La Paz, mon cœur m’aperçoit du balcon de la chambre, c’est un réel moment de bonheur.  Je me douche, je mange, je dévore.  Curieusement, je ne suis pas trop fatigué.  Nous dînons dans un bon restaurant, je m’endors très vite.


 Le plaisir de rentrer est en demi-teinte, nous aimerions rester quelques semaines, quelques mois de plus ; découvrir l’Argentine, le Brésil… Nous passons la journée à nous promener, à flâner, à utiliser à plein régime nos cinq sens, conscients que tout cela va nous manquer.

Petit passage à Varig pour confirmer, quelques photos puis nous changeons d’hôtel pour la dernière nuit, ils n’avaient pas enregistré notre confirmation.  Nous passons dans le marché de la sorcellerie, des fœtus de lamas gisent sur les tables, côtoyant toutes sortes d’herbes, des bestioles en tous genres et les denrées alimentaires de base… Nous faisons les sacs et nous nous endormons, conscient de passer nos ultimes instants en Amérique du sud.


Nous prenons le taxi à 10h00, déjeunons à l’aéroport.

La grande baie vitrée, nous autorise un dernier coup d’œil sur El Alto et sur le sommet du Huyana Potosi, nous sommes heureux, nous sommes tristes…Nous savons également que les prochaines heures risquent d’être longues. Nous embarquons pour Santa Cruz, le décollage est impressionnant. En effet, l’oxygène et rare et l’avion à besoin de cinq kilomètres pour décoller et il peine à prendre de l’altitude, rasant pendant de longues minutes les maisons délabrées de El Alto. Nous approchons à quelques dizaines de mètres du sommet de l’Illimani ( 6400 m ), à tel point que nous y distinguons la trace des alpinistes. Curieuse sensation d’approcher avec un Boeing 737, des espaces réservés aux alpinistes. Courte escale à Santa Cruz, envol pour Sao Paolo. Courte escale à Sao Paolo, envol pour Paris.


  Il est 14h00, heure française, à peine 08h00, pour notre horloge biologique bolivienne, nous passons au dessus de l’Ile de Noirmoutier, où nous nous rendons trois jours plus tard. Je pense à ma famille que je vais y retrouver. 15h00, Roissy Charles De Gaulle, nous y sommes, Laurent et Damien sont là, nous, certainement encore là bas…

 

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Photos et textes © Pierre Letienne